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Synergies théoriques
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Avant que de conclure cette brève
présentation, on suggérera les synergies existant entre le foyer pratique et les
trois phalanges théoriques du Centre.
Réseau Chromatiques whiteheadiennes
De part sa nature généraliste, le
réseau Chromatiques whiteheadiennes a déjà contribué de manière notoire à la
création d’une interprétation systématique de l’œuvre de A. N. Whitehead, œuvre
qui, faut-il le rappeler, couvre des domaines aussi variés que l’algèbre, la
relativité einsteinienne, la métaphysique et la théologie naturelle — et qui,
par voie de conséquence, ne peut que difficilement être maîtrisée dans sa
totalité par un chercheur isolé. On épinglera particulièrement la dynamique
fondamentale qui anime l’œuvre whiteheadienne (et qui se répercute directement
dans la structure de Process and Reality, 1929) : l’articulation de la dimension qualitative
de l’expérience avec sa dimension quantitative. La première est conceptuelle
(métaphysique) et la seconde mathématique (méréo-topologique) ; leur
articulation est le propre de la philosophie spéculative.
En continuant à promouvoir le renouvellement des études
whiteheadiennes, le réseau permettra de donner une assise stable aux travaux
plus spécialisés du WPN.
Whitehead Psychology Nexus
C’est principalement au sein du
Whitehead Psychology Nexus que la pensée organique whiteheadienne a été
jusqu’ici confrontée aux principales tendances de la psychologie contemporaine.
Deux pôles de réflexion se dégagent de ses travaux : la mise en perspective
théorique du paradigme cognitiviste et la question pratique de la
psychothérapie.
D’une part, les présupposés et l’applicabilité du
cognitivisme peuvent être mis en lumière par contraste avec l’approche
microgénétique développée par Jason W. Brown, à la suite des travaux du
neurologue Alexander Romanovich Luria (1902–1977), des
linguistes Roman Jakobson (1896–1982) et Aleksey Leontyev (1903–1979), de
l’École de Würzburg, de Paul Broca (1824–1880) et Carl Wernicke (1848–1905), de Max Wertheimer
(1880–1943), père de la Gestalt avec Christian von Ehrenfels, et de
Sigmund Freud (1856–1939).
D’autre part, la thérapie stratégique (École de Palo-Alto)
— si l’on s’en tient aux grandes lignes directrices, telles qu’elles furent
dégagées par Paul Watzlawick (1921–)
à la suite des travaux de Gregory Bateson (1904–1980), Don D. Jackson
(1920-1968), Milton H. Erickson (1900-1980), Richard Fish (1926-), John
Weakland (1919-1995), Jay Haley (1924-2007) et Arthur M. Bodin (1932-) — n’a guère vieilli. Elle gagne cependant à être
profilée à l’aide des derniers travaux de François Roustang et son domaine
étendu à l’interculturel (cf. Cyrulnik, Devereux et
Nathan).
Mais deux piliers ne font pas encore une arche et le lien qui
s’impose entre ces deux champs gnoséologiques globaux (philosophique et
psychologique) et locaux (science cognitive et psychothérapies) est
l’épistémologie génétique (« evolutionary epistemology »), telle qu’elle traitée
avec maestria par N. Rescher (récemment traduit en français par M. Weber), qui
constitue ainsi le tertium datur. Ces
deux pôles convergent du reste également dans la nécessité d’une réévaluation du
concept de conscience et de son opérativité en psychologie comme en philosophie.
La conception whiteheadienne du devenir est ici précieuse : elle contribue en
effet à faire avancer l'idée d’une continuité d’états de conscience et donc
d’une connivence fondamentale entre tous les êtres.
European William James Project
Les études jamesiennes sont du plus
grand intérêt théorique et pratique, à la fois du point de vue généraliste qui
est celui des « Chromatiques whiteheadiennes » et du point de vue spécialiste
adopté par le Whitehead Psychology Nexus. Deux faits doivent
être soulignés.
D’une part, l’intuition fondamentale de
James est totalement commensurable à celle de Whitehead et leurs catégories
fondamentales peuvent donc être mises en correspondance. C’est ainsi que James a
bien vu que le problème fondamental qui se pose à l’être humain est moins de
l’ordre de l’agir (« que dois-je faire ? ») que de celui du devenir
(« qui dois-je devenir ? [10] »). Sa catégorie fondamentale,
l’expérience pure, et son corrélat nécessaire, les « gouttes » [drops] ou
« boutons » [buds] d’expérience, sont du reste au nombre des influences
explicitement reconnues par Whitehead.
D’autre part, cette remarquable convergence
se produit à partir de prémisses totalement différentes. Whitehead est docteur
en sciences mais il est avant tout un algébriste qui enseigna pendant vingt ans
la physique appliquée ; son esprit est mathématique et son tempérament est celui
d’un britannique introverti qui manipule plus volontiers les expériences de
pensée que les mobiles sur les plans inclinés. James est docteur en médecine; il
enseigna l’anatomie comparée et la physiologie à l’université Harvard avant que
d’accepter une chaire de psychologie (toujours à Harvard) et d’instiguer la
création d’un laboratoire de psychologie expérimentale (confié à un élève de
Wundt, Hugo Münsterberg). Ce n’est qu’à la fin de sa vie, lui aussi, qu’il
bifurque vers la philosophie. Son esprit est empiriste et son tempérament celui
d’un américain cosmopolite et extraverti.
Par-delà le jeu subtil des différences
convergentes, tous deux apportèrent le témoignage vibrant d’existences
transfigurées par la vie selon le concept philosophique. Seul l’engagement
philosophique permit, à l’un comme à l’autre, de lever l’hypothèque de la crise
existentielle. L’exercice de la philosophie ne constitue pas un passe-temps de
dilettante ou la voie d’accès à la connaissance scientifique du monde : il est
une exigence vitale première. Socrate l’avait bien vu: « une vie à laquelle
l’examen [philosophique] fait défaut ne mérite pas qu’on la vive. »
(Apologie,
38A)
[1] Principalement dans (i)
Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin, Don D. Jackson, Pragmatics of Human
Communication. A Study on Interactional Patterns, Pathologies and
Paradoxes, New York, W. W. Norton &
Company, 1967 et (ii) Paul Watzlawick, John Weakland, Richard Fisch,
Change. Principles of Problem Formation and Problem Solution. Foreword by Milton H. Erickson, New York, W. W.
Norton & Company, 1974. Cf. Michel Weber, « The Art of Epochal Change », in
Franz Riffert and Michel Weber (eds.), Searching for New Contrasts.
Whiteheadian Contributions to Contemporary Challenges in Neurophysiology,
Psychology, Psychotherapy and the Philosophy of Mind, Frankfurt am Main, Peter Lang, Whitehead Psychology
Nexus Studies I, 2003, pp. 252-281. Et M. Weber, « Principes de la temporalité
douloureuse chez Whitehead et Watzlawick », in Georges Charbonneau et Bernard
Granger (sous la direction de), Phénoménologie des sentiments
corporels. Volume I. Douleur, souffrance, dépression, Paris, Le Cercle herméneutique, 2003, pp.
63-67.
[2]Jacques Monod, Le hasard
et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie
moderne, Paris, Éditions du Seuil, 1970, p.
161.
[3] Hannah Arendt, The Life
of the Mind [1971]. One-volume edition, San
Diego, New York, London, Harcourt Brace Jovanovich, Inc., 1978 ; La
vie de l'esprit. Volume I : La
pensée. Traduit de l'américain par Lucienne
Lotringer, Paris, Presses Universitaires de France, 1981, cf. pp. 180=tr205
& 186= tr211
[4] Traduction inspirée de
Platon, Œuvres complètes. Traduction nouvelle et notes par Léon Robin avec la
collaboration de M-J Moreau, 2 vol., Paris, Éditions Gallimard, Bibliothèque de
la Pléiade, 1950, respectivement Vol. I, pp. 413 et 425.
[5]Achenbach parle de
« philosophische Praxis » ; le terme anglo-saxon consacré est « Philosophical
Practice » ou « Philosophical Counseling » (qui s’épelle parfois
« Counselling »).
[6]Louis Marinoff, Plato
Not Prozac. Applying Philosophy to Everyday Problems, New York, HarperCollins, 1999. (Pour des raisons
que le lecteur appréciera, le titre de l’édition de poche sera « …Applying
Eternal Wisdom to Everyday
Problems ».) Cette monographie s’apprête à être traduite en seize langues ; la
version française sera publiée par Les Éditions Logique, à Montréal. Pour un
suivi du dossier, cf. <http://www.appa.edu>. Notons au surplus
l’éclectisme talentueux de l’auteur, qui confiait en 1998 au journal
Philosophy Now (Spring Issue)
être en train d’écrire un scénario pour un des principaux producteurs
hollywoodiens…
[7]« Bill A-9841 ». Le dossier
est complexe et il est difficile de connaître avec précision son état présent.
Il semblerait que l’on se dirige vers un protocole de reconnaissance sous la
forme d’un « certificate » plutôt que d’une « license », ce qui
signifie concrètement que l’accès à la « pratique philosophique » ne serait pas
interdit au non-détenteurs d’un diplôme de l’APPA, diplôme qui serait, lui,
reconnu par l’État de New York.
[8] Tobie Nathan, « La "chose" et "l'objet" », Ethnopsy /
Les Mondes Contemporains de la Guérison,
N° 4, 2002 < http://www.ethnopsychiatrie.net/>. Il poursuit :
« Proposition 3 : C’est la pensée que cultive le thérapeute, celle qu’il
habite et partage avec un groupe de pairs, celle à partir de laquelle il pense
le désordre qu’on lui soumet – c’est cette pensée qui est le principal moteur de
l’influence — la pensée donc qu’il a réellement et non pas celle que lui prête
son patient, sa théorie, par nature œuvre d’un collectif. […] Si la proposition
3 est exacte, alors il faut considérer les dispositifs thérapeutiques comme des
lieux de production et de reproduction de pensées abstraites de type philosophique (ontologie) et l’intérêt que
lui portent les patients comme une curiosité bien légitime envers les pensées
spéculatives concernant les grandes questions de l’existence. »
[9] Teilhard de Chardin, Comment je crois, Paris, Éditions de Seuil, 1969, pp. 270-271 (dans un essai
datant de 1953) ; cf. les lettres de 1953 reprises in Pierre
Leroy (éd.), Lettres familières de P. Teilhard de Chardin, mon ami
(1948–1955), Paris, Centurion, 1976. Sur le concept
de vision chez Teilhard, voir
également Michel Mansuy, « Pierre Teilhard de
Chardin », in Études sur l’imagination de la vie, Paris, José Corti, 1970, pp. 175–209.
[10] « [t]he
problem with the man is less what act he shall now choose to do, than what being
he shall now resolve to become. » (William James, Principles of
Psychology [1890]. Authorized Edition in
two volumes. Volume Two, New York / London, Henry Holt & Co. / The MacMillan
Company, 1890., Vol. I, p. 288, à propos de Schopenhauer
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